Au cours des dernières décennies, de très nombreux travaux
scientifiques fondamentaux, cliniques et épidémiologiques ont mis en
évidence le rôle des facteurs nutritionnels (intégrant l’alimentation et
l’activité physique) dans le déterminisme des principales maladies
chroniques en France comme dans l’ensemble des pays industrialisés et
désormais dans les pays émergents. Leur prévalence ne cesse d'augmenter:
en 2020, près de 50 % de la population nord-américaine aura au moins une
maladie chronique (1). Les conséquences de ces pathologies sont majeures
au niveau des individus, mais également en termes de dépenses de santé
et de productivité. La perte de production associée à 5 grandes maladies
chroniques dans le monde (cancer, maladies cardiovasculaires, maladies
respiratoires chroniques, diabète et santé mentale) a été estimée à 47
000 milliards de dollars pour la période 2011-2030 (2).
En France, les maladies chroniques dans lesquelles les facteurs
nutritionnels sont impliqués constituent également des enjeux majeurs de
santé publique. Selon les chiffres récents du Haut Conseil de la
Santé Publique (3), le nombre de nouveaux cas de cancer est estimé pour
2012 à 335 000 (avec 140 000 décès liés aux cancers). Les maladies
cardiovasculaires sont à l’origine de près de 150 000 décès par an (30 %
des décès). La prévalence du diabète traité pharmacologiquement en
France est estimée à 4,4 % en 2009. La prévalence de l'obésité chez
l’adulte atteint 17 % des adultes et 17,5 % des enfants sont en surpoids
ou obèses. Ces pathologies ont un poids économique considérable : les
coûts directs et indirects, pour l’Assurance Maladie, des cancers sont
estimés à 12,8 milliards d’euros/an ; ceux attribuables aux maladies
cardiovasculaires, 28,7 milliards d’euros/an, ceux en rapport avec le
diabète, 1,5 milliards d’euros/an et ceux de l’obésité, 20
milliards/an.
La nutrition joue également un rôle dans de nombreuses autres
maladies ayant un coût humain, social et économique important:
pathologies digestives, ostéo-articulaires, thyroïdiennes,
dermatologiques, neurologiques (déclin cognitif)…
Toutes ces maladies chroniques sont multifactorielles, déterminées par
des facteurs génétiques, biologiques, environnementaux et
comportementaux. S'il est difficile de mesurer précisément le poids
relatif des facteurs nutritionnels, de nombreux arguments suggèrent
qu’il est important, ce d’autant plus qu’il s’agit de facteurs sur
lesquels il est possible d’agir au niveau individuel et collectif.
Quelques exemples :
- Le World Cancer Research Fund, à partir d’un modèle s’appuyant sur des travaux réalisés aux USA, au Royaume Uni, au Brésil et en Chine, estime qu’environ 1/3 des cancers les plus fréquents pourraient être évités grâce à la prévention nutritionnelle dans les pays développés et 1/4 dans les pays en voie de développement. La part des cancers évitables par la nutrition atteindrait pour les pays industrialisés des chiffres plus élevés pour certaines localisations spécifiques : plus de 65 % pour les cancers des voies aéro-digestives hautes, 50 % pour les cancers colo-rectaux, plus de 45 % pour le col de l’utérus… (4).
- Il existe une relation dose-effet directe entre la consommation de sel et la tension artérielle. La baisse de la consommation de sel réduit le risque à long terme d’événements cardiovasculaires et d’accidents vasculaires cérébraux. La diminution de cette consommation de 10 à 5 g par jour permettrait de réduire le taux global d’accidents vasculaires cérébraux de 23 % et les taux de maladies cardiovasculaires de 17 % (5).
- Une relation dose-réponse a également été mise en évidence entre le niveau d’activité physique/condition physique et la prévention de 7 maladies chroniques. La comparaison des groupes de sujets les plus actifs aux groupes les moins actifs a permis d’estimer des réductions du risque de survenue de ces maladies de 33 % pour les maladies cardiovasculaires, 31 % pour les accidents vasculaires cérébraux, 32 % pour l’hypertension, 30 % pour le cancer du côlon, 20 % pour le cancer du sein et 42 % pour le diabète de type 2 (6).
La France a mis en place en 2001 le Programme National Nutrition
Santé (PNNS) qui a permis des améliorations significatives de l’état
nutritionnel de la population. Cependant tous ses objectifs n’ont pas
été atteints et surtout persistent de fortes inégalités sociales de
santé : un enfant d’ouvrier à 4 fois plus de risque qu’un enfant de
cadre d’être obèse.
Une nouvelle impulsion et de nouvelles mesures s’imposent pour améliorer
la situation nutritionnelle de l’ensemble de la population, réduire les
inégalités sociales dans le domaine de la nutrition et répondre aux
enjeux préventifs et thérapeutiques des maladies chroniques (7). A côté
des actions de communication et d’information, destinées à orienter la
population vers des comportements plus favorables à la santé, il
apparaît indispensable, notamment pour lutter contre les inégalités
sociales de santé, d’agir efficacement sur l’offre alimentaire, l’offre
d’activité physique et l’offre de soins. Les mesures doivent viser à :
- améliorer la qualité nutritionnelle de
l’offre alimentaire et faciliter l’accessibilité physique et économique
à des aliments de bonne qualité nutritionnelle, pour tous et notamment
pour les populations les plus fragiles (populations défavorisées,
enfants…),
- aider les consommateurs à orienter leurs choix au moment de
l’acte d’achat vers des aliments de meilleure qualité nutritionnelle,
- réduire la pression du marketing orientant vers la
consommation d’aliments de moins bonne qualité nutritionnelle (notamment
pour les populations vulnérables, les enfants…),et en favorisant
l’incitation vers des choix alimentaires plus favorables à la santé,
- favoriser la pratique d’une activité physique quotidienne
pour tous,
- garantir un dépistage, une prévention et une prise en
charge optimale des problèmes de santé liés à la nutrition.
Pour atteindre ces objectifs, des mesures structurelles sont nécessaires:
1) un système d’information nutritionnelle unique sur la face avant des emballages des aliments sous forme d’une signalétique facilitant, au moment de l’achat, l’estimation rapide par le consommateur de la qualité nutritionnelle d’un produit alimentaire. Le système simple, bien visible, reconnaissable et compréhensible immédiatement par tous (notamment les populations plus défavorisées), répondra à une triple finalité pour le consommateur :
a) pouvoir situer dans l’absolu la qualité
nutritionnelle d’aliments appartenant à des familles différentes (par
exemple les céréales petit déjeuner, les produits laitiers, les sodas,
les fruits, les légumes, les viandes, les charcuteries, les légumes
secs, les biscuits, les matières grasses, les plats cuisinés,…),
b) pouvoir comparer la qualité nutritionnelle relative d’aliments
appartenant à la même famille (par exemple, comparer les mueslis versus
les céréales chocolatées, versus les céréales chocolatées et fourrées ;
comparer les biscuits secs, versus les biscuits confiturés, versus les
biscuits chocolatés…),
c) pouvoir comparer la qualité nutritionnelle d’un même type d’aliment
proposé par des marques différentes (par exemple, comparer les céréales
chocolatées et fourrées d’une marque par rapport à son « équivalent »
d’une autre marque,…).
Le système d’information nutritionnelle à 5 couleurs (5C/NutriScore) s’appuyant sur un score nutritionnel et une expression graphique validés par de nombreux travaux scientifiques (8), apparaît (sur la base du rapport du Haut Conseil de la Santé Publique) comme un outil permettant de différencier la qualité nutritionnelle des aliments vendus en France en bonne cohérence du système par rapport aux repères de consommations du PNNS.
De plus, compte-tenu de ses performances, ce système pourrait être un élément incitateur fort pour les producteurs et distributeurs d’aliments à améliorer la qualité nutritionnelle des aliments qu’ils produisent ou distribuent afin de tirer parti d’un positionnement le plus favorable possible (visible par les consommateurs) et ainsi valoriser leurs efforts en terme de reformulation et d’innovation.
2) une régulation de la publicité en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments visant à réduire la pression marketing qui incite la population, notamment les sujets les plus fragiles (enfants, adolescents, populations défavorisées…) à consommer les aliments de moindre qualité nutritionnelle (gras, sucrés, salés). Cette mesure incitera les industriels à améliorer de façon significative la qualité nutritionnelle des produits alimentaires qu’ils fabriquent pour bénéficier du cadre des autorisations de publicité pour les produits ayant une qualité nutritionnelle acceptable. Cette régulation doit porter sur la publicité télévisuelle, radio et sur les supports papiers et internet.
3) une taxe calculée en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments (couplée à une subvention ou à une réduction de la TVA). Le système de taxation doit être conditionnel et proportionnel pour les aliments dont la qualité nutritionnelle est la moins favorable couplée à une subvention ou une réduction de la TVA pour ceux dont la qualité nutritionnelle est la plus favorable : la taxe est d’autant plus élevée que l’aliment à un profil nutritionnel défavorable. Mais le calcul de la taxe, à partir du score nutritionnel continu et exponentiel, permet de répercuter toute amélioration nutritionnelle, même faible et limitée à un élément négatif, par une réduction significative et d’autant plus ample que l’aliment à un score initial élevé (compte tenu de la fonction exponentielle utilisée pour calculer la taxe). Une décote de la taxe est envisageable en fonction d’un indicateur environnemental intégrant diverses données dans le domaine de la durabilité. Le pourcentage de décote et les critères à prendre en compte dans l’indicateur de durabilité permettant la décote devront être fixés par un Comité ad hoc.
4) des conditions favorables offertes à tous (et notamment aux populations défavorisées) pour pratiquer une activité physique et sportive,
a) en favorisant par des dispositifs financiers fiscales l’accessibilité à la pratique d’activité physique dans la vie quotidienne et à l’activité sportive encadrée (tickets sport permettant la prise en charge des inscriptions à des clubs sportifs ou déduction du coût de la licence pour les enfants de familles défavorisées, prise en charge de l’abonnement vélo dans les villes pour les populations ), b) en développant des actions sur l’environnement et la promotion des transports actifs (pistes cyclables et parcs à vélo sécurisés, trottoirs adaptés, bancs, réseaux denses de zones piétonnes, partage de la voirie ; intégration dans les critères de subventionnement d’ouvrages et d’équipements la prise en compte des effets du projet sur les transports actifs ; conditionnement de l’obtention des permis de construire des bâtiments publics à la mise en place et à l’accessibilité des escaliers (décorés et plaisants),…
Ces différentes mesures doivent, bien sûr, s’intégrer dans le cadre
de la politique nutritionnelle de santé publique (PNNS) dont il sera
nécessaire d’amplifier les actions dans qui n’ont pas été ou pas
suffisamment efficaces pour toucher les populations à risque, notamment
les groupes vulnérables sur le plan socio-économique et la jeunesse,
réduire les inégalités territoriales dans la prévention et la prise en
charge des problèmes nutritionnels, améliorer l’offre alimentaire et
d’activité physique, la formation, la surveillance et la recherche.
Questions
Pour s’opposer à l’ingérence de l’industrie agro-alimentaire et de la
grande distribution dans les politiques publiques, vous engagez-vous à
mettre en place :
1) le logo à 5 couleurs 5C/NutriScore (du vert au rouge) sur la face avant des emballages, permettant de comparer la qualité nutritionnelle des aliments,
2) une réglementation de la publicité en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments visant à réduire la pression du marketing,
3) une taxation en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments (proportionnelle à la teneur en gras, sucre, sel et densité calorique),
4) des dispositifs financiers favorisant l’accès à la pratique
d’activité physique dans la vie quotidienne
Références bibliographiques
1. Wolff, J. L., Starfield, B., & Anderson, G. (2002). Prevalence,
expenditures, and complications of multiple chronic conditions in the
elderly. Archives of Internal Medicine 162, 2269-2276.
2. Bloom, D. E., Cafiero, E. T., Jané-Llopis, E., Abrahams-Gessel, S.,
Bloom, L. R., Fathima, S., Feigl, A. B., Gaziano, T., Mowafi, M.,
Pandya, A., Prettner, K., Rosenberg, L., Seligman, B., Stein, A. Z., &
Weinstein, C. (2011). The Global Economic Burden of Noncommunicable
Diseases, Geneva: World Economic Forum
3. Haut Comité de la Santé Publique (2015). Santé en France : problèmes
et politiques. Collection Avis et Rapports. La Documentation Française,
175 pages
4. World Cancer Research Fund / American Institute for Cancer Research
(2009). Policy and Action for Cancer Prevention. Food, Nutrition, and
Physical Activity: a Global Perspective, Washington DC: AICR.
5. WHO Europe (2011). Mapping salt reduction initiatives in the WHO
European region, Copenhagen: World Health Organization Regional Office
for Europe.
6. Warburton, D. E. R., Nicol, C. W., & Bredin, S. S. D. (2006). Health
benefits of physical activity: the evidence. Canadian Medical
Association Journal 174, 801-809.
7. Hercberg S (2014). Propositions pour un nouvel élan de la politique
nutritionnelle française de santé publique : mesures concernant la
prévention nutritionnelle, Rapport, 2014 (www.sante.gouv.fr).
8. Hercberg S (2015). Réflexions sur le système d’information
nutritionnelle coloriel 5-C. Les tribunes de la santé n° 49, 1-7