Une évolution récente dramatique
Le nombre d’accidents mortels s’est accru en 2014, 2015 et 2016. Nous
n’avions pas eu de dégradation durant trois années consécutives depuis
1972. L’inversion de la tendance s’est produite au début de l’année
2014. Après un minimum de 3260 tués au cours des douze mois s’achevant
en février, la mortalité s’est élevée à 3384 fin 2014, à 3464 fin 2015
et à 3469 fin 2016 L’objectif de 2000 tués en 2020 est inaccessible et
le gouvernement n’a pas su ni voulu agir sur la première cause de
mortalité des jeunes adultes en France.
Les leçons des succès passés
La mortalité sur les routes s’était fortement accrue de 1945 à 1972, l’accroissement de la circulation était alors très supérieur aux gains de sécurité au kilomètre parcouru. Le nombre de tués a atteint son niveau maximum (18 034 tués) à la fin de cette période. Le port obligatoire de la ceinture de sécurité et la réduction des vitesses maximales, ont alors inversé l’évolution de la mortalité. Elle s’est réduite en deux ans de 18,5% (14 526 tués en 1974).
La réduction de l’accidentalité dans la période suivante a été plus lente et irrégulière, conjuguant les progrès réguliers liés à l’évolution de la sécurité des véhicules et des infrastructures, avec des décisions gouvernementales dont la pertinence et l’effectivité ont été très variables. Au cours de la période 1972/2001, la mortalité s’est abaissée de 14 500 à 8 250.
La sécurité routière a été déclarée comme étant la première des
priorités présidentielles de santé publique le 14 juillet 2002. Des
décisions immédiates (fin des indulgences, plus grande sévérité dans
l’application des règles) ont été associées à la mise en œuvre - dans
des délais courts - du dispositif de contrôle automatisé de la vitesse.
Une plus grande rigueur dans l’application des règles a entraîné un
accroissement des retraits de points de 40% en 2003. L’effet a été très
important, la mortalité a été divisée par deux au cours des 10 années
suivantes.
Ces évolutions ont prouvé l’efficacité de décisions gouvernementales
portant principalement sur le respect des vitesses maximales et les
méthodes utilisées pour les faire respecter.
Les mécanismes de la dégradation.
Le dispositif de contrôle établi en 2003 a été détruit par des procédés bien identifiés. Les principaux sont :
- La dégradation des retraits de points du permis de conduire, décrite par le rapport Colin-Le Gallou en 2012. Ces inspecteurs du ministère de l’Intérieur (IGA) ont établi que la moitié des points devant être retirés ne l’ont pas été et que cette défaillance concernait aussi bien les contraventions que les délits. Le rapport indiquait les 29 facteurs de détérioration du dispositif à corriger.
- Le développement des avertisseurs de radars. Les usagers transmettent par géolocalisation l’endroit où ils observent un contrôle par des gendarmes ou des policiers, qualifié de danger temporaire.
- Le nombre insuffisant et le sous-emploi des radars mobiles (dans des véhicules en déplacement) qui sont la meilleure réponse au développement des avertisseurs de contrôles fixes. Ils ne sont utilisés actuellement que trois quart d’heure par jour en moyenne.
Comment mettre un terme à cette dégradation des résultats ?
L’inefficacité du choix gouvernemental, associant 81 mesurettes à une
communication dont l’inutilité est établie quand elle n’annonce pas des
mesures contraignantes, est maintenant évidente.
Trois mesures sont prioritaires
:
- La réduction de la vitesse maximale autorisée sur le réseau hors agglomération dont les voies de circulation ne sont pas séparées. Le Comité des experts auprès du Conseil national de sécurité routière avait proposé d’abaisser de 90 à 80 km/h la vitesse maximale sur ces voies, où survient plus de la moitié des accidents mortels. Le ministre de l’Intérieur a préféré une expérimentation sur 81 kilomètres, sans méthode pertinente. Elle était inutile, les relations entre vitesses de circulation et accidentalité étant modélisées depuis des décennies.
- La correction de tous
les facteurs qui ont réduit l’efficacité des mesures adoptées en 2002
pour assurer un meilleur respect des limitations de la vitesse.
- Assurer l’effectivité des retraits de points. Il faut appliquer les 29 mesures proposées par le rapport Colin-Le Gallou pour supprimer ce facteur de destruction de l’équité. Il est indispensable d’appliquer ces mesures et d’établir une traçabilité des infractions.
- Contraindre les producteurs d’avertisseurs de radars à respecter leur engagement de ne pas signaler les contrôles de vitesse. Il faut instaurer un filtrage par le ministère de l’Intérieur des signalements des pseudo dangers temporaires. Les policiers et les gendarmes indiqueront les heures des contrôles et les géolocaliseront, le serveur du ministère bloquera les avertissements dans ces zones de contrôle. Cette validation automatisée peut se faire en une fraction de seconde. Une loi doit établir l’interdiction du signalement des contrôles routiers, son intérêt dépasse la sécurité routière dans une période où la lutte contre le terrorisme impose de réduire tous les procédés destinés à neutraliser les contrôles des forces de l’ordre.
- Développer la sous-traitance de la mise en œuvre des radars mobiles capables de mesurer les vitesses des véhicules qui les dépassent, comme de ceux qui les croisent.
- L’expertise des infrastructures. C’est une nécessité reconnue depuis des décennies qui faisait partie de nos propositions de 2012. François Hollande avait indiqué : « Je suis favorable à l’introduction progressive du principe d'un contrôle de sécurité des infrastructures ». Quatre ans plus tard, « l’oubli » de cet engagement écrit du candidat François Hollande témoigne d’un défaut de sincérité. Cette expertise est notamment indispensable pour prévenir les impacts contre les arbres et autres obstacles verticaux. Elle n’implique par leur abattage, mais un choix entre les différentes solutions efficaces.
Deux autres mesures sont capables d’avoir un effet important sur l’accidentalité :
- L’usage des dispositifs de contrôle automatisés (LAVIA – enregistreurs d’événements). L’Union Européenne est maintenant le seul organisme définissant les obligations techniques auxquelles sont soumis les constructeurs. Elle fait traîner la définition de dispositifs efficaces de prévention des accidents, sous l’influence de groupes de pression (notamment l’industrie automobile allemande) qui refusent les contraintes concernant les vitesses de circulation. La France est dans l’incapacité d’accélérer la mise en œuvre des limiteurs automatisés de la vitesse en fonction de la valeur autorisée localement (LAVIA) et des enregistreurs d’événements (boîtes noires) qui dissuadent les excès de vitesse, ceux-ci pouvant alors être prouvés après un accident. La maîtrise de la procrastination a atteint un niveau inégalé dans ce domaine, les voitures à la conduite entièrement automatisée et sûre nous sont annoncées pour demain et des dispositifs disponibles depuis une décennie et peu onéreux ne sont toujours pas utilisés.
- Le développement d’une lutte résolue contre la désinformation. Les pouvoirs publics privilégient une communication qui ne contrarie personne. Son intérêt est faible par rapport aux communications destinées à détruire les connaissances validées et à justifier l’adoption de mesures contraignantes. Le Gouvernement doit s’attaquer aux médias qui publient des textes ou présentent des émissions qui sont de véritables dénis de réalité. Un lobbying fondé sur la désinformation agit au niveau du Parlement, sans que l’Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques s’empare de ce dossier. Il a été créé pour assurer qui relève de ses compétences.
Conclusions
L’Etat n’est plus maître de la définition des normes applicables aux
véhicules, et il a dévolu aux acteurs locaux la gestion de la
quasi-totalité des routes. Il est cependant possible de définir l’usage
obligatoire des LAVIA et des boîtes noires sous la forme de peines
complémentaires. Il est par ailleurs indispensable de rééquilibrer les
rôles respectifs dans la gestion des routes, en organisant au niveau de
l’Etat les audits d’infrastructure qui ne sont toujours pas mis en
oeuvre, alors que les procédures existent, définies au niveau européen.
A l’opposé, la gestion du comportement des usagers par un dispositif de
contrôles et de sanctions capable de faire respecter les règles, demeure
le levier principal de l’action de l’Etat sur la sécurité routière. Le
Gouvernement n’a pas su ni voulu assumer ses responsabilités dans ce
domaine. L’augmentation de la mortalité sur les routes, alors que le
trafic n’augmente que très peu, est la conséquence de cette association
de désintérêt, d’incompétence, et de crainte de déplaire.
La nature de l’engagement des politiques lors des élections devient un
critère déterminant pour les électeurs. Les formulations du type
«je suis favorable » ou «la politique que je mènerai en matière de
sécurité routière sera prioritairement axée sur les facteurs les plus
meurtriers sur la route, soit l’alcool et la vitesse » (François
Hollande – 2012) doivent être remplacées par des propos dépourvus
d’ambiguïté.
Nous posons aux candidats à l’élection présidentielle les questions suivantes :
13/ Abaisserez-vous de 90 km/h à 80 km/h la vitesse maximale autorisée sur les voies sans séparation des sens de circulation ?
14/ Assurerez-vous le respect des limitations de vitesse en augmentant le nombre et l’usage des radars mobiles, en interdisant le signalement de tous les contrôles de vitesse par une loi ?
15/ Assurerez-vous la qualité du dispositif de retrait de points ?
16/ Créerez-vous une expertise technique des infrastructures routières comportant une programmation de la réduction des risques liés aux obstacles verticaux ?