La consommation d’alcool, répartie uniformément dans la population des
Français de 15 ans et plus s’élevait à 11,6 litres d’alcool pur en 2013,
soit 18 verres (contenant chacun 10 g d’alcool) par semaine. Le vin
représente 59% de cette consommation, les spiritueux 21% et la
bière 19%. Dans la mesure où un tiers des hommes et deux tiers des
femmes ne boivent pas régulièrement, les buveurs réguliers boivent
plutôt 36 verres par semaine. La consommation d’alcool était encore plus
élevée dans le passé mais la France reste au 3ème rang des pays de
l’OCDE et 50% de l’alcool est consommé par les 20% des plus gros buveurs
de la population. La consommation du Français moyen, buveur régulier,
est donc extraordinairement loin de toute « modération ». Parmi les
jeunes de 15 à 17 ans, 8 sur 10 ont consommé de l’alcool dans l’année et
1 sur 4 a été ivre au moins une fois.
Les boissons alcooliques (contenant de l’alcool, les boissons
alcoolisées sont celles auxquelles de l’alcool a été ajouté) font
l’objet de plusieurs types de consommation qui ont évolués dans le
temps :
• L’abstinence, de plus
en plus fréquente
• La consommation
régulière, traditionnellement comme boisson au repas
• La consommation
excessive d'alcool
• La consommation
problématique ou abus d'alcool lorsqu'apparaissent des problèmes
physiques, psychiques ou sociaux qui sont clairement perceptibles, mais
qui n’empêchent pas de continuer à boire.
• La beuverie express ou
«binge drinking» à la recherche de l’ivresse, qui se développe
particulièrement chez les jeunes, plutôt le week-end.
• La dépendance ou
l’addiction à l'alcool ou alcoolisme. Reconnue comme une maladie par
l’OMS depuis 1978, c’est la perte de la liberté de boire ou non.
Les risques observés aujourd’hui sont les conséquences de la
consommation actuelle pour les risques à court terme (syndrome
d’alcoolisation fœtale, accidents, violences envers soi-même, sa
famille, son entourage…) et de la consommation passée pour les risques à
long terme (cancers, maladies cardiovasculaires, maladies digestives).
On estime que l’alcool a été la cause de 49 000 décès en 2009, soit 9%
de la mortalité totale (13% pour les hommes, 5% pour les femmes). Les
cancers (bouche, pharynx œsophage, larynx,..) représentent 31% de cette
mortalité, les maladies cardio-vasculaires 25%, les accidents et
suicides 17%, les maladies digestives (cirrhose et maladie alcoolique du
foie) 16%. L’alcool est ainsi la deuxième cause de décès évitables et la
deuxième cause de cancer, après le tabac. On estime que la moitié des
problèmes surviennent chez les dépendants à l’alcool, l’autre moitié
chez ceux qui ont une consommation excessive ou problématique.
Ceux qui veulent développer des actions efficaces pour réduire les
dommages considérables dus à la consommation d’alcool se retrouvent face
au lobby industriel de l’alcool qui dispose de ressources considérables.
Ce lobby est l’un des plus puissants en France et ses méthodes se
calquent de plus en plus sur celles du lobby du tabac. Il a choisi
l’option stratégique de considérer toute information indépendante sur
les conséquences sanitaires et sociales de l’alcool comme une entrave à
son développement économique. Ceux qui la portent sont donc des
adversaires qu’il faut réduire au silence.
Pour défendre ses intérêts, le lobby industriel de l’alcool s’est organisé sur le plan professionnel, a développé un argumentaire prêt à l’emploi, un vadémécum utilisé par ses professionnels, ses alliés, ses obligés, ses communicants et ses relais d’opinion. Il faut valoriser les produits (alcool élément culturel, identitaire, patrimonial et socialisant, voire bon pour le cœur et certains cancers !) et discréditer les opposants (buveurs d’eau, hygiénistes, intégristes, prohibitionnistes, rabat-joie, ayatollahs). Le lobby de l’alcool est organisé autour de « Vin & Société » pour les professionnels, Avec Modération ! (ex-Entreprise & Prévention) pour prendre la place des acteurs de prévention, ainsi que la Fondation pour la Recherche en Alcoologie (FRA) qui remplace aujourd’hui l’IREB (Institut de recherche scientifique sur les boissons) mais évite toujours d’étudier la prévention primaire, préférant étudier la vulnérabilité individuelle.
Ce lobby a pour bras armé une association de parlementaires,
l’Association des élus de la vigne et du vin (ANEV) dont on cherche en
vain la liste des adhérents ! Il bénéficie, par ailleurs, par connivence
ou conviction, de relais journalistiques, notamment dans les domaines de
la gastronomie et de l’œnologie.
Cet ensemble structuré permet de décrédibiliser et stigmatiser les
sources d’information fiables, de publier des informations fausses ou
biaisées, de fournir argumentaires, « éléments de langage » ou slogans
réducteurs repris sans esprit critique. « Instiller le doute » pour
préserver ses intérêts commerciaux résume l’action du lobby industriel
de l’alcool. Ceci explique qu’il est si difficile d’obtenir les
décisions nécessaires, et ensuite de les maintenir.
Il existe cependant aujourd’hui un accord quasi général des
organisations indépendantes (OMS, universités, OCDE) pour établir une
liste des actions efficaces pour limiter les dégâts dus à l’alcool :
1. Recommandations sur la
consommation :
a. On ne peut en aucun
cas recommander à quiconque de consommer de l’alcool, encore moins en
faire un « médicament » car il serait alors immédiatement interdit, tant
ses effets secondaires sont fréquents et redoutables.
b. En cas de consommation
régulière, le plus sûr est de ne pas boire régulièrement plus de 11
verres par semaine (soit 110 g d’alcool pur), de les répartir sur au
moins 3 jours. Cependant, le risque de maladies augmente à partir de
toute consommation régulière d’alcool.
c. En cas de consommation
régulière importante, limiter la quantité totale ingérée lors de chaque
épisode, boire lentement, manger en buvant, en alternant avec de l’eau,
éviter les endroits et les activités à risque, s’assurer que de pouvoir
rentrer en toute sécurité.
d. Alcool et grossesse. En cas
de grossesse ou si une grossesse est projetée, le plus sûr est de ne pas
boire d’alcool du tout. Boire peut entrainer des problèmes durables et
le risque augmente avec la quantité d’alcool consommé.
2. Les mesures législatives et
réglementaires
a. Les restrictions à la
publicité et à la promotion des boissons alcooliques.
b. La taxation des produits au
volume d’alcool pur, ou par des taxations au niveau de 15 à 30%
c. Vente avec licence à
des horaires limitatifs
d. Les tests respiratoires
aléatoires sur la route
e. L’accroissement de
l’âge légal de vente
3. Les mesures médicales et éducatives
a. Les campagnes informatives
sur l’alcool et la route
b. L’intervention brève du
généraliste qui pose systématiquement la question sur la consommation
d’alcool
c. Les traitements en externe,
en ambulatoire, en résidence pour l’alcoolo dépendance,
d. La mise sur le marché et la
prise en charge de médicaments ayant prouvé leur efficacité.
La situation française est faite d’avancées « inespérées », suivis de
reculs successifs. Ainsi en est-il de la loi Evin du 10 janvier 1991 qui
avait pour principes originels d’interdire la publicité sur les supports
qui s’imposent à tous et d’en limiter la forme sur les supports
autorisés. On peut noter que la proposition d’une exception pour les
enseignes dans les zones de production a conduit à remplacer
« enseignes » par « affiches », puis à décider que toute la France était
zone de production, rétablissant ainsi l’affichage l’une des formes les
plus visibles de publicité. Les « buvettes » en milieu sportif ont été
progressivement rétablies, puis totalement libéralisées. Enfin, la
publicité pour l’alcool a été autorisée en 2009 sur Internet (loi HPST),
bien que ce soit un support médiatique particulièrement affectionné des
jeunes. Le lobby alcoolier n’était pas encore satisfait et obtient qu’un
texte » obscur » serve à « éclairer » l’application de la réglementation
de la publicité par la loi Macron du 6 août 20015, confirmée par la loi
de modernisation de notre système de santé (Touraine) du 26 janvier
2016. Sous couvert d’œnotourisme, on a introduit dans la loi une fausse
distinction entre publicité et information qui permettra de présenter le
vin ou d’autres alcools comme un produit attractif. Ce n’est pas encore
suffisant car ce même lobby tente en avril 2016 de rétablir la bière
dans les stades, oubliant ainsi le drame des 39 morts du stade du Heysel
le 29 mai 1985 à Bruxelles, lors d’une finale de Coupe des clubs
champions de football.
Tous ces reculs alors que 60% des Français jugent insuffisante la
réglementation et que toutes les organisations indépendantes des
alcooliers s’y sont opposées.
En ce qui concerne la taxation, la France se caractérise par une
taxation des plus réduites sur le vin (<4€ par hl d’alcool pur en
2013!), plus importante pour les spiritueux (1689€/hl) sauf le rhum
(918€/hl). Il existe une grande marge de progression, ne serait-ce que
pour rejoindre la moyenne de l’Union Européenne.
Questions aux candidats à la
présidence de la République :
4/ Remplacerez-vous l’avertissement légal « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé » par « l’alcool est dangereux pour la santé » ?
5/ Remplacerez-vous la mention créée par les alcooliers : « à consommer avec modération » par l’étiquetage de la quantité d’alcool pur en grammes et le nombre de calories dans chaque contenant (bouteille, canette…) ?
6/ Taxerez-vous les boissons alcoolisées en fonction du nombre de grammes d’alcool pur qu’elles contiennent ?
7/ Limiterez-vous les messages publicitaires à la nature du produit (vin, bière…) et à son degré d’alcool ?
8/ Les interdirez-vous dans les médias qui s’imposent à tous : sur Internet, par des affiches sur la voie publique, dans les transports en commun et à la radio ?