libération 22 janvier 2007

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Texte publié le 22 janvier 2007 dans les pages "Rebonds" de Libération

La vie d'autrui, un enjeu

Les médecins à l'origine de la loi Evin interpellent les candidats sur la nutrition, la route...

 
Gérard Dubois, François Grémy, Claude Got, Albert Hirsch et Maurice Tubiana

(professeurs de médecine et auteurs du rapport sur la prévention à l'origine de la loi Evin de 1991)
 
Poser des questions aux candidats à l'élection présidentielle relève de ce que Pierre Rosanvallon appelle la contre-démocratie, fondée sur une certaine défiance de la procédure purement représentative. Nous pratiquons cette démarche depuis 1988 et nous avons retenu six thèmes relevant de la sécurité sanitaire. Cinq d'entre eux (tabac, alcool, nutrition, route, environnement) expriment les contradictions entre l'intérêt collectif et des intérêts particuliers. Ils permettent donc à un politique de définir sa vision de notre société et le compromis qu'il souhaite établir entre la liberté et la fraternité.

Quand les publicitaires se substituent aux instituteurs pour promouvoir le tabac, l'alcool, un aliment ou une voiture, ils peuvent nuire et mettre en route le «descenseur social», assurer la promotion du risque et se comporter comme des nuisibles. Il faut les maîtriser par la loi. Nous le disions en 1989 dans le rapport qui a suscité la loi Evin, nous le répétons en étendant notre proposition à l'alimentation. Présenter à des enfants, dans des publicités séduisantes, des aliments «incompréhensibles» programme des générations d'obèses. Il faut interdire toute publicité télévisée et par affichage assurant la promotion de l'alimentation industrialisée et avoir un étiquetage informatif n'exigeant pas de calculs complexes. Il faut, en outre, améliorer la reconnaissance des enfants en surpoids et les aider ainsi que leur famille à maîtriser ce risque.


Sur l'environnement, nous proposons un système de bonus-malus généralisé lors de l'achat d'une voiture, équilibré financièrement par une redistribution de l'intégralité de la taxe sur les véhicules les plus pollueurs et gaspilleurs vers ceux qui le sont moins. Par ailleurs, le «diagnostic amiante» doit être accessible à tous, sans avoir à le demander au propriétaire. Un fichier informatisé, accessible par l'Internet, de tous les bâtiments, publics ou privés, est la mesure la moins onéreuse et la plus pratique pour assurer cette fonction.
Après quinze années de non-application de la loi Evin, la lutte pour la protection des non-fumeurs et des ex-fumeurs semble relancée par le décret du 15 novembre 2006. Les candidats doivent dire s'ils s'engagent à faire respecter ce texte. Ils doivent également accepter l'accroissement des taxes de 10 % dès le 1er janvier 2008 en l'associant à une réduction des tolérances douanières aux frontières, indispensable tant que l'Union sera incapable d'harmoniser sa taxation du tabac.

Pour l'alcool, il faut revenir aux propositions de 1988 sur la publicité qui ont fondé la loi de 1991 et interdire sa promotion sur des supports qui s'imposent aux enfants (affichage, radio). Il faut aussi indiquer la quantité d'alcool contenue dans un conditionnement, renouveler les messages sanitaires et supprimer le Conseil de la modération et de la prévention. Sa composition exprime plus une forme de soutien psychologique à la viticulture en crise qu'une volonté de réflexion sur le contenu des messages de prévention.

La diminution de la mortalité sur les routes a été de 40 % au cours des cinq dernières années au lieu de 3 % au cours des cinq années précédant mai 2002. Cette différence spectaculaire a été obtenue en redonnant sa valeur au système de contrôle et de sanction. Il faut maintenant agir sur les véhicules, car il est incohérent de vouloir obtenir le respect des limitations de vitesse sans interrompre la croissance de la vitesse maximale des voitures et des motos. Si l'Union veut maintenir cette pratique perverse qui consiste à autoriser la mise en circulation de voitures ou de motos dépassant la vitesse maximale la plus élevée autorisée dans tous les pays de l'Union sauf l'Allemagne, la France doit passer à l'acte en adoptant un texte réglementaire unilatéral limitant la vitesse à la construction, la Cour de justice des communautés européennes dira alors le droit. Nous devons faire évaluer l'infrastructure par un organisme indépendant, établissant notamment la cohérence des limites de vitesse et la programmation de l'élimination des aménagements dangereux.

Les responsables politiques et administratifs ne peuvent assurer la sécurité sanitaire sans connaissances obtenues dans des délais adaptés aux besoins. Depuis la canicule de 2003, nous savons que notre système de gestion des causes de décès ne permet pas une alerte sanitaire rapide en cas d'évolution anormale d'une forme de mortalité. Il faut mettre en oeuvre dans des délais courts le projet de transmission par l'Internet des certificats de décès pour corriger cette lacune. Il est également indispensable de mettre en place un outil de veille sanitaire assurant le suivi d'une cohorte de dizaines de milliers de volontaires pour mieux comprendre les facteurs de maintien ou de destruction de l'état de santé.

Les réponses des candidats seront mises en ligne à partir du 15 février (1), avec des commentaires distinguant la précision de la réponse de son contenu décisionnel. Les débats se développeront après l'obtention des réponses, sur les sites Internet de nos partenaires associatifs.
 
Depuis une trentaine d'années, nous tentons tous les cinq d'agir sur des causes de destruction de la santé humaine. Nos adversaires tiennent des discours racoleurs sur l'hygiénisme moralisateur d'ayatollahs qui veulent faire le bonheur des gens malgré eux et sur la tristesse d'un monde où l'on vivrait longtemps, mais privés de ce qui contribue à la joie de vivre. Ils savent cependant qu'une des conditions pour vivre heureux est de vivre et que les actions que nous préconisons tentent de limiter le pouvoir de nuisance de ceux qui mettent en danger la vie d'autrui, habituellement pour favoriser leurs intérêts
. Quant à nous convaincre que la satisfaction du gros mangeur dépasse celle du gourmet, que le plaisir de boire du vin dépend du nombre de verres absorbés, qu’il est plus agréable de tousser que de respirer et que la liberté de se déplacer dépend de la vitesse maximale de sa voiture ou de son aptitude à gaspiller du pétrole, ce sera difficile,
nos références privilégient la qualité et non la quantité.

Promettre indique que l'on est capable de se projeter dans l'avenir. On se souvient de l'annonce sans suite faite le 14 juillet 1996 par le président de la République de l'abandon de la faculté amiantée de Jussieu par ses étudiants avant la fin de l'année. A l'opposé, quand Jacques Chirac a annoncé, le 3 avril 2002, qu'il demanderait au Parlement de renoncer à amnistier les fautes de conduite s'il était élu, la promesse était indispensable, raisonnable et plausible, et il a pu tenir sa parole, comme il a pu faire passer dans les faits l'annonce du 14 juillet 2002 plaçant la sécurité routière en tête de ses priorités. Une «bonne question» avait provoqué une réponse réaliste et l'initiation d'une politique efficace. Nous avons tenté de nous limiter à des questions de ce type. Il aura fallu quinze ans pour obtenir un décret qui assurera en janvier 2008 le respect de la loi Evin votée en 1991. La santé publique est un exercice permanent et de longue haleine, mais nous avons appris à poser les questions qui font émerger la sincérité, la compétence et le sens des responsabilités ! Aux candidats de s'en emparer.
 
(1) Sur le site www.securite-sanitaire.org
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