La mortalité choisie avec le retour à 90 km/h
Le choix associé de la sécurité routière, du poids des voitures et de la
sécurité du climat aux dépens de la vitesse est un critère qui distingue le
courage de la démagogie. Il a été refusé par l’extrême droite depuis 1988 et par
Emmanuel Macron depuis 2019. A ce stade du choix de la présidence la question
est simple : voulez-vous rétablir la fonction régalienne limitant la vitesse
maximale à 80 km/h sur les voies ne séparant pas les sens de circulation ?
Le retour à 90 km/h sur les routes où sont observés les plus grands nombres de
décès a été une décision improvisée, dangereuse et opaque. Les structures de
l’Etat qui publient chaque mois l’accidentalité avaient le devoir de surveiller
son évolution en distinguant les deux groupes « Pro-80 » et « Pro-90 », cela n’a
pas été fait. En février 2021, j’ai pu établir l’évolution de l’accidentalité
dans une démarche personnelle incomplète, la déléguée interministérielle à la
sécurité routière ayant refusé de me donner ces résultats. Les évaluations des
accidentalités au niveau des parcours à 80 ou à 90 dans le même département ne
sont toujours pas disponibles au niveau des routes à 80 ou 90. La volonté de ne
pas rendre visibles ces résultats avant le 24 avril 2022 a été une évidence des
deux dernières années. Elle n’est pas à l’honneur de ces responsables.
L’Observatoire national interministériel de la sécurité routière a publié le
31 janvier 2022 un bilan de 16 pages se limitant à 4 lignes traitant « le
relèvement à 90 km/h »
:
« Entre
2019 et 2021 le nombre de tués sur le réseau hors agglomération des 38
départements ayant opté pour le relèvement à 90km/h de la vitesse maximale
autorisée en 2020 et 2021 sur tout ou partie de leur réseau n'a pas évolué
(655 tués en 2019 comme en 2021).
Dans le même temps la mortalité
hors agglomération a baissé de –16% sur le reste des départements ».
La mortalité de 2019 s’élevait à 3244 et celle des deux années suivantes a été
de 2541 et 2947 sous l’influence de la COVID. Il est donc absurde d’exploiter ce
(655 tués en 2019 comme en 2021).
La phrase « Dans le même temps la mortalité hors agglomération a
baissé de –16% sur le reste des départements » exigeait de reprendre un
commentaire précis sur l’effet de la COVID. Ces 4 lignes incompréhensibles
expriment la volonté de ne rien dire.
Malgré l’influence de la COVID
qui a masqué le risque par son action sur le trafic, il a été possible
d’observer l’augmentation du nombre de morts dans les 32 départements « laxistes
» qui ont choisi de remonter la vitesse à 90km/h sur une partie variable de leur
réseau. 60 autres départements « sérieux » qui ont conservé le 80 km/h
(sans Paris ni la petite ceinture qui ne sont pas concernées) ont eu une
évolution exprimant leur caractère sérieux.
Le tableau suivant reporte les données de l’ONISR. Il exprime une croissance
relative des proportions de « pro-90 » par rapport au « Pro-60 ».
Année |
Base géographique |
Vitesse limite |
tués |
% des tués par type de département |
2019 |
32 départements laxistes |
80km/h |
843 |
27,0% |
60 départements sérieux |
80km/h |
2285 |
73,0% |
|
Total |
80km/h |
3128 |
100,0% |
|
2020 |
32 départements laxistes |
90km/h |
678 |
27,9% |
60 départements sérieux |
80km/h |
1756 |
72,1% |
|
Total |
2434 |
100,0% |
||
2021 |
32 départements laxistes |
90km/h |
797 |
28,3% |
60 départements sérieux |
80km/h |
2015 |
71,7% |
|
Total |
2812 |
100,0% |
Le retour
à une vitesse de 90 km/h sur les routes où se produisent les plus grands nombres
d’accidents mortels
a été rendu visible à partir de 2020.
·
2019 a été
l’année de l’homogénéité de la vitesse maximale à 80 km/h. L’ONISR publiera le
bilan de chaque département en septembre 2020. Il sera alors possible de
connaitre l’accidentalité des deux groupes : 27% pour les 32 « pro-90 » et 73%
pour les 60 « pro-80 ». Paris et la petite couronne ne sont pas concernés.
·
2020 est
l’année qui modifie la proportion entre les deux groupes : 27,9% et 72,1%.
·
2021
accroît cette différence : 28,3% et 71,7%, ce qui s’accorde bien avec le passage
progressif au 90 km/h en 2020, et le passage à 90 dès le mois de janvier 2021
pour une année complète.
Nous pouvons nous limiter à ces résultats si nous
voulons éviter les bilans complexes, faute de disposer de toutes les données
dans des situations très évolutives. Les modifications et les conséquences de la
période 2017/2019 ont un intérêt considérable. Leur usage a été insuffisamment
exploité. Le choix de
retourner à 90 km/h dans une grande proportion de départements qui avaient un
taux de mortalité élevé par rapport à leur population exprimait l’acceptation du
risque et l’accroissement de la mortalité. Il fallait le décrire. Le passage
obligatoire de 90 à 80 en 2019 avait réduit le risque dans des proportions très
différentes. Dans le groupe des 60 conservant le « pro-80 » le nombre de
2 370 tués en 2017 et 2 285 tués en 2019 signifiait que 85 usagers avaient
conservé leur vie. La réduction de leur mortalité a été faible : 3,59 %,
elle exprimait un comportement prudent. Dans le groupe des 32
« pro 90 » : 969 tués en 2017
et 843 tués en 2019 exprimait un gain de vie de 126 usagers. La réduction
de leur mortalité a été de 13%. Cette réduction du risque des « Pro-90 » par un
facteur de 3,62 a été observé en septembre 2020, donc après les responsables
départementaux qui avaient fait ce choix. Ce comportement dangereux n’a pas été
décrit par les responsables de la sécurité routière.
Nous pouvons tenter de calculer, en 2020 et 2021, les nombres de tués évitables
dans les 32 départements «laxistes».
En 2020, si les 92
départements étaient restés à 80 km/h, comme en 2019, il y aurait eu 1756 tués
dans les 60 départements « sérieux », restés réellement à 80 km/h, comme indiqué
dans le tableau. Et le pourcentage de ces 1756 tués aurait été de 73% du total
des tués dans 92 départements. Par conséquent, ce total aurait atteint 1756/0,73
= 2405 tués. Le pourcentage des tués dans les 32 départements valant 27%, comme
en 2019, le nombre de tués aurait été alors de 2405 x 0,27 = 649.
Finalement, le fait que les
Présidents de 32 conseils départementaux aient décidé de remonter la vitesse à
90 km/h et qu’aucun autre paramètre de la circulation n’ait été modifié a
contribué en 2019 à l’augmentation de 678 (le nombre réel de tués du tableau) –
649 (le nombre de tués si la vitesse avait été maintenue à 80km/h) = 29 tués
dans leurs départements.
Le même raisonnement et les
mêmes calculs pour l’année 2021 conduisent à des tués, qui auraient pu être
évités si la vitesse dans les 32 départements « laxistes » était demeurée à 80
km/h, égal en nombre à 52 (il y aurait eu au total 2015/0,73 = 2760 tués et 2760
x 0,27=745 tués dans les 32 départements « laxistes », d’où le résultat :
797-745 = 52).
Finalement, pendant les deux années 2020 et 2021, ce sont 29+52 = 81 tués qui
auraient pu être évités sans la décision du retour à 90 km/h dans les 32
départements « laxistes ». Autrement dit, la décision des 32 Présidents en
question a participé pour 81/(649+745) = 5,8% à la mortalité pendant ces deux
années de retour à 90 km/h. Rappelons que
l’augmentation
du temps de parcours a été estimée à 1 seconde par
kilomètre sur les voies concernées par le passage de 90 à 80.
Le retour possible au 90 km/h ne doit pas être un acte isolé. Il faut le
replacer dans l’ensemble des facteurs qui ont contribué à accroître des
conséquences destructrices :
·
Accroissement de la
vitesse, donc de la consommation de carburant, dans un pays qui a été incapable
de respecter ses engagements pris en 2015 (Réduction
de 29% des émissions dans le secteur des transports sur la période 2015-2028)
·
Abandon d’une forte taxation quand une voiture dépasse
1 400 kg. Elle avait été initialement envisagée au niveau du gouvernement. Elle
a été élevée à 1 800
kg.
Ce seuil élevé concernera moins de 3% des véhicules
neufs. Entre 1990 et 2020, le poids moyen est passé de 953 kilos à 1,233 tonne
·
Refus de réduire la vitesse maximale sur les
autoroutes.
La réduction du COVID va augmenter le trafic et la centaine de décès imputables
au retour à 90km/h sera atteinte au cours de l’année 2023 si le 90 est maintenu.
Il faut avoir à l'esprit l'importance des conséquences de l'accidentalité. Les
blessures graves sont fréquentes, avec des séquelles qui ne régressent pas, et
ces dommages concernent majoritairement des gens jeunes. Le nombre de blessés
très graves est le double du nombre de tués. Un ensemble d’arguments liés à
l’évolution du climat s’associe au risque de mettre en danger la vie.
Claude Got