Les candidats à l’élection présidentielle sont-ils indifférents à la santé publique ?

Le Club de santé publique, qui interroge les politiques depuis 1988 sur des mesures concrètes de prévention, n’a pas reçu de réponses de la quasi-totalité des douze personnalités en lice.

Par Pascale Santi et Sandrine Cabut

Le Monde publié le 04 avril 2022 à 14h10

 

 

A quelques jours du premier tour de l’élection présidentielle, et après plus de deux ans de pandémie, le peu d’attrait qu’ont les candidats à la présidence de la République pour les enjeux concrets de santé publique est un signe inquiétant. Sollicités le 9 mars sur sept thèmes majeurs (alcool, cannabis, nutrition, sécurité routière, système de santé, tabac et vaccination) par le Club de santé publique, la plupart des douze prétendants à l’Elysée n’ont pas daigné participer. En date du 4 avril, et malgré une relance auprès de la plupart de leurs équipes de campagne, seul Nicolas Dupont-Aignan (Debout la France) avait fait parvenir ses réponses aux 23 questions, alors que la date limite était initialement fixée au 21 mars.

Certes, les candidats sont assaillis de demandes sur tous les sujets, mais la démarche du Club de la santé publique, qui propose cet exercice à chaque présidentielle depuis 1988, est une quasi-institution. Lors des six précédentes élections, ce groupe de réflexion, aujourd’hui constitué de 11 spécialistes de santé publique largement reconnus, avait d’ailleurs obtenu des réponses de la quasi-totalité des candidats. Un succès qui s’explique par l’importance de leurs sujets, et leur poids dans les politiques de santé publique. Ainsi, les professeurs Gérard Dubois, Claude Got, et Albert Hirsch, trois des cinq membres historiques de ce Club, ont joué un rôle majeur dans l’initiation de la loi Evin de 1991 qui la publicité pour l’alcool et le tabac. Claude Got a aussi impulsé la politique de sécurité routière. Le nutritionniste Serge Hercberg est, lui, à l’origine du Nutriscore, le système d’information nutritionnelle sur la face avant des aliments.

Pour faciliter la tâche des candidats, les questions posées appellent une réponse par oui ou non, ou encore « ne se prononce pas ». « Une argumentation est bienvenue », précise le collectif.

« Sensibilité de sujets »

Nicolas Dupont-Aignan n’a pas commenté son « non » à la question « Instaurerez-vous un prix minimum par unité d’alcool ? ». Il est aussi défavorable à l’organisation d’un débat citoyen sur la légalisation du cannabis : « Je suis opposé par principe à la légalisation du cannabis, qui est une drogue dangereuse pour la santé mentale de nos concitoyens, en particulier de notre jeunesse. »

Pour François Bourdillon, ancien directeur général de Santé publique France, et ses collègues du Club, plusieurs raisons peuvent expliquer le faible taux de participation : « La guerre en Ukraine, mais aussi un essoufflement de notre démocratie, la sensibilité des sujets de santé et des mesures à prendre qui peuvent apparaître de premier abord impopulaires – limite de vitesse, augmentation du prix du tabac (…). Enfin peut-être, et plus grave, le refus de s’engager face à certains lobbys », écrivent-ils dans un communiqué.

Le Club de santé publique ne désarme pas et « appelle solennellement » une réponse des candidats à leur questionnaire, au regard des enjeux majeurs en termes de gains de santé

Ainsi de la politique à l’égard de l’alcool du gouvernement Macron. Le projet « mois sans alcool » (Dry January) de janvier 2020, qui devait initialement être porté par l’Etat, a été annulé par l’Elysée sous la pression du lobby de l’alcool. Autre exemple, l’amélioration de la visibilité du pictogramme préventif « Femme enceinte » sur les bouteilles, prévu depuis 2006, n’a toujours pas pu être mis en œuvre…

Des mesures de santé publique figurent-elles cependant dans les programmes des candidats ? La prévention y est évoquée mais pas toujours déclinée en mesures concrètes – le mot est absent dans celui d’Eric Zemmour (Reconquête !).

La « prévention » en bonne place

Ainsi, le programme de Valérie Pécresse (Les Républicains) prévoit de « doubler les budgets pour la prévention santé », Anne Hidalgo (Parti socialiste) veut « donner la priorité à la santé publique et à la prévention », en mobilisant tous les leviers. Yannick Jadot (Europe Ecologie-Les Verts) emploie le terme « prévention » à de nombreuses reprises, et propose notamment « la légalisation du cannabis ». Le programme de Marine Le Pen (Rassemblement national) dit vouloir « donner plus de place à la prévention, notamment grâce aux visites médicales scolaires, qui redeviendront systématiques ». « La priorité à la prévention » est l’un des points phare du programme santé de Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise).

Comme en 2017, la prévention semble figurer en bonne place dans le programme d’Emmanuel Macron. Des mesures concrètes ont d’ailleurs été prises durant son quinquennat : paquet de cigarettes à 10 euros, poursuite du déploiement du Nutriscore, développement du sport-santé… Comme en matière de politique sur l’alcool, son bilan est cependant mitigé sur d’autres sujets tels la prévention routière. Ainsi, la limitation à 80 km/h est très diversement appliquée sur le territoire.

Le Club de santé publique ne désarme pas et « appelle solennellement » une réponse des candidats à leur questionnaire, au regard des enjeux majeurs en termes de gains de santé. « Au-delà des beaux discours, rappelons que 4 cancers sur 10 sont évitables en agissant sur les consommations de tabac, d’alcool, l’alimentation, en luttant contre les pollutions environnementales, contre la sédentarité, en vaccinant… », écrit-il.

 

Pascale Santi et Sandrine Cabut